À partir de mai 2023, la distribution du Publisac à Montréal sera réservée aux personnes qui le demandent expressément, dans le but de réduire à la source la quantité de déchets et de matières recyclables. L’adoption de cette mesure aux bienfaits écologiques indéniables est en grande partie le fruit du travail d’un citoyen, Charles Montpetit. Il nous raconte ici comment il a réussi à changer les choses. Une victoire inspirante, nous incitant à agir !
Comment j’en suis venu à m’attaquer à 100 100 tonnes de déchets disséminés chaque année au Québec
Comme bien des gens, je me sens depuis longtemps impuissant face à la crise climatique. J’ai beau réduire mon empreinte, me joindre à des mouvements de masse et faire des dons à des causes écologiques, cela n’atténue pas mon éco-anxiété. M’entêter à faire mon métier d’écrivain me donne même l’impression d’être un des musiciens du Titanic qui continuaient à jouer pendant le naufrage. C’est pourquoi j’ai fini par tout plaquer et, ne serait-ce que pour me remonter le moral, je me suis mis en quête d’une idée verte dont des experts ne s’occupent pas déjà.
Coïncidence : un publisac a alors atterri devant ma porte, malgré l’autocollant de refus apposé sur la boîte à lettres. Le déclic ne s’est pas fait illico dans ma tête : j’ai eu le même réflexe que tout le monde – j’ai téléphoné à l’entreprise pour lui demander de ne pas récidiver. On m’a promis de corriger la situation, et j’ai cru le problème réglé.
Jusqu’à ce qu’un nouveau sac me force à faire un nouvel appel. Puis un autre. Et un autre encore.
C’est là que j’ai compris : le « service à la clientèle » du distributeur nous donne l’illusion d’un recours possible, sans pour autant entraîner un véritable changement. J’ai donc étudié le règlement qui régissait les circulaires dans mon arrondissement, puis j’ai pris des photos à gauche et à droite pour prouver que les modalités n’étaient pas respectées. J’ai commencé par signaler une dizaine d’infractions à la Ville. Puis des centaines. Puis des milliers.
Ne recevant aucune réponse des élus, j’ai envoyé mes photos au Téléjournal et, lors de la période de questions du 18 juin 2018 à l’Hôtel de ville, j’ai suggéré de corriger le règlement, avec le soutien de 13 groupes environnementaux, comme quoi il fallait laisser les circulaires uniquement là où une autorisation est apposée (sans utiliser de sacs de plastique) au lieu d’en permettre la livraison partout sauf si personne les refuse. Pour mettre la proposition en valeur, j’ai créé le site Propre.org (auquel j’ai plus tard ajouté le nom Antipublisac.com) et j’y ai aussi affiché la liste des infractions, des pictogrammes de refus téléchargeables et un formulaire de contact.
La Ville m’a avisé qu’elle étudierait ces idées si, en trois mois, 15 000 citoyens réclamaient une consultation publique. Afin de m’assurer que je pourrais rejoindre autant de monde, j’ai distribué des mini‑tracts lors de manifs écologiques, puis publié des textes courts, des images humoristiques et des photos saisissantes sur les médias sociaux (piqués à vif, les gens de Publisac ont bien tenté de me faire taire, mais quand j’en ai informé les journalistes, ç’a en fait accru ma couverture de presse). J’ai compilé les adresses électroniques de tous les gens qui m’ont écrit, et en faisant appel à eux le jour où j’ai lancé ma campagne, je suis parvenu à amasser 16 500 signatures en six jours.
En vue de la consultation, la Ville a fait ses propres recherches, révélant entre autres que les circulaires constituaient 11% de tout le recyclage, et que 82 % du public et des commerces approuvaient ma proposition. À ma demande, 453 intervenants ont soumis des mémoires ou fait des présentations orales, et même si le camp pro‑circulaire s’est défendu avec énergie, les organisateurs des audiences m’ont unanimement donné raison. Mieux encore, la Ville de Mirabel a de son côté adopté une réforme similaire, en plus de tenu tête à une poursuite intentée par Publisac.
Hélas, la pandémie et des élections municipales sont survenues à ce moment, et les élus montréalais ont mis de côté les conclusions de la consultation. J’ai dû maintenir la pression pendant deux ans grâce à des lettres ouvertes et une participation mensuelle aux périodes de questions du conseil. Tout ça pour dire que, le 11 avril 2022, la mairesse a enfin annoncé l’entrée en vigueur en 2023 du nouveau mode de distribution, sans sacs de plastique.
Pour étendre le mouvement à tout le Québec, il ne reste plus qu’à inciter d’autres villes à emboîter le pas. Si vous voulez placer une demande auprès de vos propres élus, écrivez-moi à CharlesMontpetit@yahoo.com. Ça ne vous prendra que 30 secondes, et vous aurez vous aussi la satisfaction d’avoir engendré un changement notoire !