Sur le plan environnemental, quelques objectifs font consensus. Ainsi, on s’entend généralement pour développer le transport collectif, réduire les émissions de GES, diminuer les coûts sociaux de l’automobile (congestion, accidents, coûts d’opportunité des stationnements…) ainsi que contrôler l’étalement urbain qui augmente les distances parcourues et la dépendance à l’auto-solo.
Diverses mesures sont proposées pour atteindre ces objectifs. Si la plupart apparaissent à première vue très valables, un examen plus attentif révèle que certains choix sont moins efficaces que d’autres. Nous prendrons en exemple des propositions extraites du Plan d’action 2013-2020 du Québec.
Les autobus
Au chapitre du Soutien au transport collectif, on souligne les bénéfices des autobus diesel, qui réduisent le nombre de véhicules sur la route, la congestion et les besoins en stationnements. Sur le plan social, il s’agit d’un service essentiel. Mais est-ce que les autobus diesel réduisent les émissions de GES ? Malheureusement, pas vraiment, comme on peut le constater en comparant les émissions par passager par kilomètre parcouru :
Performance urbaine |
Facteur de charge |
g CO2 / passager – km |
Honda Civic (7 l / 100 km) |
2 personnes |
85 |
Moyenne des autobus à Laval* |
131 |
|
Honda Civic (7 l / 100 km) |
1 personne |
168 |
Moyenne des autobus de la STM** |
216 |
|
Honda Accord (9 l / 100 km) |
1 personne |
216 |
* STL, Développement durable; État de la situation 2013, p.26
**STM, Plan de développement durable 2020, p. 53
De plus, les autobus diesel augmentent la pollution locale, puisqu’ils émettent des quantités importantes de polluants qui ont des effets sur la santé respiratoire: particules fines et oxyde d’azote (NOx) qui causent le smog. Par passager-km, les émissions des autobus diesel sont environ 10 fois plus grandes que celles des automobiles. Notons que des nouvelles technologies pourraient réduire de plus de 50% les émissions de NOx des autobus, mais un très faible nombre en sont équipés pour l’instant (ex. STL, Développement durable; État de la situation 2013).
Les voitures électriques
Ce même Plan d’action 2013-2020 du Québec propose des incitatifs pour les voitures électriques. La conclusion que les autos électriques réduisent les émissions de GES se base sur trois hypothèses :
- La source d’électricité alimentant les autos électriques est l’hydroélectricité
- Lorsqu’un ménage achète une auto électrique, cet achat remplace un véhicule conventionnel
- La fabrication des batteries n’est pas un enjeu.
Est-ce que ces hypothèses sont valides ?
Premièrement, peut-on dire que les voitures électriques qui roulent au Québec sont « zéro émission » ? A priori, on est porté à le croire, puisque la quasi-totalité (98%) de l’électricité que nous consommons est produite de manière hydraulique, donc avec très peu d’émissions de GES, et c’est ce que nous amène à conclure une analyse de cycle de vie basée sur des données moyennes (ACV : Méthode attributionnelle). Par contre, si l’on aborde les émissions de GES dans une perspective plus globale, on les analysera selon une approche marginale (ACV : méthode conséquentielle). On prendra alors en considération que :
- la quantité totale d’hydroélectricité produite n’est pas modifiée par la consommation et dépend des pluies;
- les kWh consommés par les autos électriques réduisent les kWh exportés;
- les kWh exportés remplacent des kWh produits par du charbon et du gaz naturel.
Une auto électrique qui parcourt 16 000 km semble réduire les émissions directes de CO2 de ≈2,3 tonnes, mais elle augmente les émissions du secteur électrique de ≈1,5 tonnes (en Nouvelle-Angleterre).
Deuxièmement, une auto électrique ne remplace pas toujours un véhicule à essence. Selon un sondage effectué en Californie, la majorité des ménages ont acheté une auto électrique en supplément de leur(s) véhicule(s) conventionnel(s). Au Québec, à cause des contraintes hivernales et de la faible autonomie des autos tout-électriques, on peut présumer qu’une portion importante des autos électriques seront « supplémentaires »
Troisièmement, la fabrication des batteries Li-Ion affecte beaucoup la performance environnementale. On note ainsi des émissions de CO2 de 150 kg par kWh de batteries (Meta-analyse nombreux articles : Ricardo Energy & Environment, London, 2013). Selon l’ADEME (Émissions de CO2 : l’impasse de la voiture électrique), « La fabrication des batteries est tellement émettrice de CO2 qu’il faut avoir parcouru de 50 000 à 100 000 km en voiture électrique pour commencer à être moins producteur de CO2 qu’une voiture thermique ». Ce commentaire est basé sur un contexte idéal : petites autos électriques et 90% de la production d’électricité sans émission de CO2.
L’analyse du cycle de vie selon l’approche marginale nous montre qu’au Québec, il faut au moins 6 ans d’utilisation d’une voiture électrique avant de réduire les émissions de GES.
Véhicule | Fabrication des batteries | Délai avant une réduction nette des émissions de GES | |
Petite auto (ex. Leaf)
30 kWh |
4,5 tonnes CO2 | Si l’achat remplace une autre auto :
96 000 km (6 ans) |
Si auto supplémentaire :
192 000 km (12 ans) |
Tesla 85 kWh | 12,7 tonnes CO2 |
272 000 km |
|
Hypothèses selon l’approche marginale :
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Densification urbaine
Le Plan d’action 2013-2020 du Québec juge prioritaire de densifier les zones urbaines près des axes de transport collectif. Le Ministère des Affaires municipales et le Plan d’aménagement de la CMM s’entendent pour dire que l’étalement urbain multiplie la longueur des déplacements et les dépenses publiques, et qu’il faut recourir en priorité au concept des Transit Oriented Development (TOD). Malheureusement, le faible soutien financier, soit 6 millions $ du PACC et 17 millions $ du Fond Vert (2014), n’appuie pas ces bonnes intentions.
Dans les faits, de 2001 à 2011, le Québec s’est plutôt fait le champion de l’étalement urbain au Canada, la superficie s’étant accrue de 11% à Montréal. Selon le document du gouvernement, les actions prévues en aménagement du territoire permettraient une baisse de 6% des émissions de GES. Considérant les moyens d’action adoptés jusqu’à maintenant, cette prévision n’apparaît pas réaliste.
On constate aussi que les TOD réalisés ou en développement encouragent l’étalement urbain : Saint-Hilaire, Sainte-Thérèse, Mascouche. À Montréal, les zones TOD sont souvent occupées par des retraités qui prennent rarement le transport collectif, comme par exemple près du métro Henri-Bourassa, où s’est construit un vaste complexe d’habitations pour personnes retraitées.
Bourse du carbone
Le plan d’action du Québec mise sur le système de plafonnement et d’échange de droits d’émissions pour réduire notre empreinte carbone. Les prévisions de prix pour une tonne de CO2 sont de 33$, ce qui équivaut à 8¢ /litre d’essence. Or depuis deux ans, le prix de l’essence a baissé significativement (de 30 à 40¢ /litre). Le plan d’action du Québec est basé sur un coût élevé du pétrole, soit une prévision de 148 $ /baril en 2030. Or l’importante baisse du prix du pétrole change sérieusement les attentes. Il apparaît maintenant plus probable que dans ce contexte, la croissance de l’auto-solo va continuer (rappelons qu’au cours des dix dernières années, dans la grande région de Montréal, le nombre de voitures a augmenté deux fois plus que le nombre d’habitants et qu’un véhicule neuf sur deux est un VSU ou un camion léger).
Agir efficacement
La lutte aux changements climatiques exige que nous réduisions de beaucoup nos émissions de GES. Pour ce faire, il faut recourir aux mesures les plus efficaces. Le GRAME en préconise principalement deux:
Écofiscalité
Il s’agit d’une réforme fiscale mettant en place des écotaxes compensées par des baisses de l’impôt sur le revenu. Les écotaxes peuvent prendre la forme de péages, de taxes sur les carburants ou les stationnements. Les sommes récoltées sont dédiées au financement du transport collectif électrique.
Développement majeur du transport collectif électrique
À ce chapitre, le tramway constitue une valeur sûre : très efficace et silencieux, fiable, même en hiver, climatisation facile, accessibilité, capacité équivalente à 3-5 autobus, baisse importante des coûts d’exploitation. Le Big Move de Toronto, avec des investissements de plus de 2 milliards $ par année, fournit un bon exemple d’un tel projet.
Tous nos oeufs dans le même panier ?
Le métro constitue évidemment un excellent moyen de transport en commun, et l’annonce du prolongement de la ligne bleue, avec l’ajout de cinq stations, au coût de 3 milliards $, est à première vue une bonne nouvelle. Mais est-ce le meilleur investissement afin d’atteindre les objectifs de réduction de GES ?
Le principal problème est qu’un projet de l’envergure du prolongement de la ligne Bleue (3 milliards $ pour 5 stations) élimine pratiquement les autres options à moyen terme. Les dernières années nous ont offert des exemples de monopolisation des fonds et des efforts pour un projet par décennie : on a vu le prolongement du métro à Laval, puis le train de l’est et maintenant ce serait le prolongement de la ligne Bleue. Donc, si ce projet va de l’avant, on risque fort de ne réaliser aucun autre projet structurant au cours des 10 ou 12 prochaines années. Or la ligne Bleue ne fonctionne pas à pleine capacité (6 wagons seulement par train, sur une possibilité de 9); son prolongement amènera probablement 10 000 nouveaux usagers, ce qui revient à 300 000$ par nouvel usager ! En comparaison, avec 3 milliards $, on peut implanter 4 grandes lignes de tramway avec 80 stations, qui transformeraient Montréal. Soulignons aussi l’impact du prolongement de la ligne Bleue sur le réseau. L’AMT a confirmé à plusieurs reprises que les besoins de grande capacité se situent sur les axes Nord-Sud. La ligne Orange est déjà complètement saturée; le matin en pointe, les usagers des stations Sherbrooke, Mont-Royal et Laurier ne peuvent embarquer dans les rames. Pour compenser, la STM a créé un grand nombre de réseaux d’autobus Nord-Sud qui rejoignent la ligne Verte (ex. Pie IX, Lacordaire, Langelier) La ligne Bleue va intercepter des usagers des autobus Nord-Sud, qui utiliseront alors la ligne Orange, au lieu de la Verte. Ainsi, le prolongement de la ligne Bleue va accroître la congestion sur la ligne Orange et sur le quai de Berri-UQAM.
L’heure de faire les bons choix
Alors que 400 villes de par le monde possèdent des réseaux de tramway, le Québec fait exception. Près de nous, au Canada, Toronto, Ottawa et Kitchener développent le tramway. Pendant ce temps, le système de Montréal est basé sur deux modes « extrêmes » : un métro très coûteux d’une très grande capacité et des autobus diesel, peu coûteux mais de faible capacité, souvent pris dans la congestion automobile et émetteurs de GES. Dans une logique du « bon mode au bon endroit », il existe un grand potentiel de développement pour un mode de capacité intermédiaire comme le tramway, qui est de 10 à 15 fois moins coûteux par station que le métro.
Au plan des avantages, le tramway permet de réduire l’étalement, n’a pas de besoin de batteries et, en remplaçant des autobus diesel, il permet de réduire la pollution locale et les émissions de GES. Mais son effet le plus important est de stimuler le développement des quartiers environnants. L’expérience de plusieurs centaines de villes le démontre, le tramway est un instrument de densification du territoire. De plus, les revenus fonciers additionnels peuvent financer une grande proportion des investissements.
Pour réussir à modifier les tendances et réduire les émissions de GES du secteur des transports, la région de Montréal a besoin d’un « Grand virage », semblable au Big Move de Toronto. Pour un investissement de 3 milliards $, au lieu d’un segment de ligne et 5 stations de métro, nous pouvons mettre en place au moins 4 grandes lignes et 80 stations de tramway. Et avec une stratégie d’écofiscalité appropriée, on peut faire davantage. Dotons nous d’un réseau de transport électrifié avec une technologie qui a fait ses preuves. Les changements climatiques nous forcent à agir. Faisons dès maintenant les meilleurs choix.
Ce texte a été rédigé à partir d’une présentation de Luc Gagnon (Ph.D), président d’Option transport durable et chargé de cours en Développement durable à École de technologie supérieure, et de Jean-François Lefebvre (Ph.D), président d’Imagine Lachine-Est et chargé de cours au Département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM ainsi qu’à la Faculté de Génie de l’Université de Sherbrooke. Messieurs Gagnon et Lefebvre sont également chercheurs associés au Grame.
Crédit photo: Claude Coquelleau, FreeImages.com